Le temps, l’expérience, la matière

Article publié dans le magazine Gros Gris, Janvier 2020.
Extrait du mémoire Timiel, de l’étude de terrain aux formes d’un design situé, 2018

Au mois d’Août 2017, je réalise une étude de terrain, auprès de la potière Assia Yazghi dans le village de Timiel. Cette recherche prend la forme d’un mémoire, et d’une série d’objets co-produite durant ma présence sur place (voir le lien).

Je me suis intéressée à la production, par des femmes, de poteries alimentaires, dans une région rurale du nord du Maroc. Ma recherche se construit d’abord autour d’un questionnement sur la muséeification des objets artisanaux et la notion de patrimoine : le passage du feu à la vitrine. Cela me permet de poser les bases de ce travail, considérant le rôle de ces objets dans des dynamiques sociales loin d’être figées. Je réalise une analyse appliquée de la culture matérielle située sous la forme de topographies d’objets, d’inventaires, d’analyses et de descriptions d’usages et d’activation d’objets. J’effectue également une documentation précise de la technique employée par Assia Yazghi, et des enjeux et avantages de sa production : l’étude du maximum d’usage.

Je termine mon analyse par un questionnement sur la collaboration possible entre artisan et designer : quelles sont les conditions, les enjeux et les interactions produites par de tels échanges ? Que produit la collaboration, et comment aller vers une co-intentionnalité émergeant de la situation ?

Dans l’ensemble de ce mémoire de fin d’étude, ma réflexion part d’un journal, d’une expérience vécue, qui (à mon retour du terrain) est confrontée à des lectures, des auteurs, des contextes différents, pour glisser de l’expérience locale à une pensée plus générale.

Pour ce numéro de Gros Gris, intitulé Temps Libre, j’ai développé un passage de mon mémoire, un questionnement sur le temps, liée à une pratique rurale et traditionnelle de la poterie dans un contexte précis.

Dans un contexte où il n’existe pas d’horaires de bureau, de pointage, de rendez-vous, ni même d’heures; quand il n’existe pas de limite entre le temps libre, et celui qui ne l’est pas, n’a-t-on jamais de temps libre, ou au contraire, l’est-il toujours?

« C’est l’idée que prônait déjà William Morris, dans les années 1870 : « Ainsi, des thèmes en apparence mineurs : l’artisanat, la fabrication de ces humbles objets que chacun de nous utilise tous les jours […] recouvrent en fait des enjeux sociaux et politiques très vastes. » Le fond de cette recherche consiste donc à prendre en compte l’ensemble d’une situation, permettant une réflexion sur la diversité des outils pouvant servir à mieux penser notre développement futur, car comme le dit Hugues Jacquet, « Réfléchir différemment [N.D.A. : à toutes ces apparentes contradictions] invite alors à se saisir de ce formidable réservoir d’intelligence latent et accumulé au cours de l’histoire humaine. À l’ère post-industrielle en Europe occidentale, la pratique artisanale n’appelle pas à un retour en arrière.» Il est donc question de trouver un juste milieu entre regard sur le passé, et vision d’un avenir désirable que peut nous inspirer une étude du travail artisanal, comme nous l’avons fait ici à travers le prisme de son rapport au temps.»

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