L’année dernière, j’étais chez ma grand-mère à Clermont-Ferrand, quand dans sa cuisine je suis tombée pour la première fois, sur un petit plat à gratin. Il a immédiatement attiré mon attention par sa couleur, à l’intérieur, il est jaune ocre, couleur que je connais bien car c’est la couleur naturelle de la terre de Soufflenheim. Il est rond, à l’extérieur il est bleu marine avec un motif de tulipes vertes et blanches. Comme à mon habitude, j’ai immédiatement retourné le plat pour connaître son auteur. Rien. Mais à l’intérieur du plat, un unique tampon indique « PRIMAVERA » en lettres capitales.
Commence alors mon investigation. Les poteries très anciennes étant jusqu’à ce moment-là mon unique obsession, je découvre l’existence de PRIMAVERA, l’atelier d’art des magasins du printemps.
Au début du XXe siècle s’ouvre un nouveau marché pour la céramique populaire : celui de la clientèle des grands magasin, notamment parisiens. À Soufflenheim, l’un des principaux clients des années 1920-1930 est le Printemps.
René Guilleré, animé d’une passion pour les objets authentiques du terroir et co-fondateur de la Société des artistes décorateurs en 1901 avec Maurice Dufrène, « pour réagir contre le mercantilisme, la copie honteuse, le mauvais goût et l’inertie du commerce et de l’industrie » selon Maurice Dufrêne. René Guilleré, parcourt la France pour trouver les meilleurs artisans afin de les faire connaître à Paris. En effet, il dirige l’atelier Primavera avec sa femme, Charlotte Chauchet-Guilleré, peintre-décoratrice, directrice artistique, et ce dès 1912.
Primavera était au départ un petit atelier pratiquant une sorte d’esthétisme et de mécénat pour diffuser et donner un nouvel élan aux petits artisans français, grâce à la collecte d’objets usuels exécutés dans une belle matière.
Pour le Printemps, la production de ses ateliers d’art doit à la fois s’inspirer du passé, source de raffinement revendiquée par les tenants de l’Art déco, et s’inscrire dans son temps. Colette Guéden se fait remarquer par les Guilleré. Elle devient cheffe d’atelier, puis directrice artistique en 1938, jusqu’en 1972.
« Si la jeune femme déclare que « créer ne signifie pas nier le passé et le détruire », par exemple, en assemblant des « meubles anciens et modernes qui se font valoir sans se heurter », son goût des couleurs claires et gaies, sa conception de « meubles pour rendre la vie aisée et faciliter les gestes », son éclectisme dans l’emploi des matériaux – corne, verre, céramique, rhodoïd – la place d’emblée du côté des modernes. (…) Bientôt, il ne lui suffit pas à cette travailleuse acharnée, de commander et de sélectionner les objets qui porteront le label Primavera, à partir des valeurs qui étaient celles des Guilleré : défendre les objets bien faits à l’opposé du reste du grand magasin qui vend mais n’a que fort peu de contrôle sur les marchandises standardisées qu’il propose. Elle devient « passeur d’histoires » en travaillant sur des valeurs partagées et en développant une stratégie de la marque Primavera qui cristallisent de façon collective cet attachement aux objets choisis par et pour Primavera. Un autre rapport à la consommation se crée dès l’entrée chez Primavera et se poursuit chez soi. Colette Guéden privilégie l’espace social dont l’objet est un élément. Des signaux, des narrations sont mis en place pour instaurer une véritable proximité avec le collectionneur. L’objet dans ce cas, n’est plus figé, il peut être manipulé, devient le support de relations. Cette volonté de se rapprocher du collectionneur en sédimentant un certain niveau d’intimité permet au collectionneur d’exporter chez lui cette ambiance pour nourrir la symbolique de ses objets. »
Après la Première Guerre mondiale, le grand magasin est imité par ses confères. Maurice Dufrêne est ainsi appelé à la tête des ateliers de la « Maîtrise » par les Galeries Lafayette en 1922, et Paul Follot par le Bon Marché pour diriger « Pomone » l’année suivante.
Aux Galeries Lafayette, c’est donc sous l’impulsion de Maurice Dufrène qu’une pléiade d’artistes et d’artisans produisent alors quotidiennement des oeuvres pratiques, répondant tant au goût du public qu’aux nécessités courante de l’existence.
Et c’est dans cet objectif, très précisément que je porte le projet à demain Maurice, 100 ans plus tard.
Sources :
– Fabienne FRAVALO, « Primavera, l’atelier d’art des magasins du Printemps », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 03 octobre 2021. URL : http://histoire-image.org/fr/etudes/primavera-atelier-art-magasins-printemps
– La céramique de Soufflenheim, 150 ans de production en Alsace 1800-1950, L’inventaire, Hors-série.
– Colette Guéden (1905-2000), Primavera et la céramique par Anne LAJOIX, Les Dossiers de la Faïence fine – n° 27 – avril 2010.
-Elchinger Céramistes, 1890-1960, Sophie Elisabeth SYRING, Rainer SYRING et Marc ELCHINGER, Éditions Musée de Sarreguemines, 2016.