L’enquête

En février 2018, je commence une enquête de terrain sur la poterie alimentaire, rurale, traditionnelle alsacienne. Dans le Nord de l’Alsace, deux villages sont connus pour leurs poteries traditionnelles, très complémentaires : Betschdorf et Soufflenheim. À Betschdorf, les potiers fabriquent des objets gris et bleus, poterie en grès au sel, utilisées pour la bonne conservation des aliments.

En février 2018, je commence une enquête de terrain sur la poterie alimentaire, rurale, traditionnelle alsacienne. Dans le Nord de l’Alsace, deux villages sont connus pour leurs poteries traditionnelles, très complémentaires : Betschdorf et Soufflenheim. À Betschdorf, les potiers fabriquent des objets gris et bleus, poterie en grès au sel, utilisées pour la bonne conservation des aliments.

À une dizaine de minutes au sud de Betschdorf, en traversant la forêt, on arrive dans le village de Soufflenheim. L’argile de Soufflenheim est extraite depuis des siècles dans une carrière à quelques mètres du village, ce qui rend cette production 100 % locale. C’est une argile sableuse, poreuse et réfractaire. Depuis des siècles, les potiers produisent des objets de cuisson et de service, et d’autres objets du quotidien, d’usage domestique.

Entre février et avril 2018, j’ai rencontré et interrogé de nombreux acteurs et intervenants concernés par la poterie alsacienne et ses enjeux (technique, patrimoine, économie, tourisme, gastronomie…) afin de dresser le paysage le plus complet possible du terrain étudié. Je rencontre plusieurs potiers et ateliers de Soufflenheim, mais c’est avec la Poterie Ernewein-Haas que le courant passe, et nous avons envie de travailler ensemble. C’est alors la phase d’immersion qui commence.

L’immersion

Pour cette collaboration, l’immersion a pris la forme d’un stage d’un mois au sein de la poterie. Durant tout le mois d’avril 2018 je mets en place mon observation participante. Observer, écouter, apprendre et comprendre la technique, l’histoire, les valeurs, les individus, avant tout. La Poterie Ernewein-Haas, c’est Jean-Louis, le père, et Jonathan, le fils. Béatrice est la décoratrice, elle travaille à la poterie quatre matins par semaine, pour peindre à la main tous les décors. Marie-José, la femme de Jean-Louis est aussi là parfois, pour préparer un four, ou aider au magasin. C’est une toute petite entreprise, familiale.

Pendant mon stage à la Poterie Ernewein-Haas, je vis chez Madeleine à Auenheim. Madeleine est une retraitée, qui tenait à l’époque un bar restaurant, la Couronne. Nous vivons donc en collocation toutes les deux. Le soir, on marche un peu : cueillette d’ail des ours, récolte de jus de bouleau, ou encore d’aspérule odorante. Nous cuisinons ensemble beaucoup, évidement dans les poteries de Soufflenheim.

La terre

À la poterie, je participe à toutes les étapes de fabrication des objets. Pas de division du travail, on suit l’objet de A à Z, du sol de la forêt, à une jolie cruche émaillée. J’ai documenté chaque étape, chaque geste, chaque recette et astuce de fabrication. Ce sont ces techniques qui caractérisent cet artisanat, cette entreprise, ce patrimoine qu’est leur savoir-faire.

Après avoir réalisé un carottage du sol pour étudier la profondeur de la couche d’argile un trou est creusé de 5 à 8 mètres sous terre. La terre extraite est alors laissée à l’air afin de subir les intempéries des différentes saisons : sécheresse, humidité, gel, dégel… et ainsi « se détendre ». Quand la terre est prête, elle est livrée à la poterie par une trappe qui donne sur un grand bac bétonné dans le sous-sol. Elle est remplie de cailloux, de branches, de racines. Cette terre, qui prend une couleur jaune ocre à la cuisson, la Poterie Ernewein-Haas fait partie des derniers atelier à l’utiliser. Jean-Louis en est fier.

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La Main

Ce qui m’intéresse dans le travail de la Poterie Ernewein-Haas, c’est leur attachement fort aux techniques manuelles. Ils sont deux à produire l’ensemble des objets de la poterie, et malgré cela, ils continuent de tourner les boutons des couvercles, de tirer les anses des tasses et des cruches à la main, garantissant ainsi esthétique et solidité de leurs objets. Chaque objet, qu’il soit tourné, calibré ou pressé, est manipulé par leurs mains.

Cette pratique artisanale oblige à travailler en petite série. Ainsi, j’ai réfléchi à l’optimisation d’un moule, d’une forme. Comment proposer de nombreuses variations à partir d’une pièce de base, et ainsi valoriser le travail artisanal en petite série ? Car c’est lui qui nous permet de traiter individuellement chaque objet, presque en sur-mesure. Les premiers objets que nous avons créés ensemble en mai 2018 étaient deux modèles de cocottes, une petite et une grande, aux multiples combinaisons possibles : becs, anses, couleurs, motifs, assemblage de couvercle, couleur du bouton… ! 

En effet, l’image perçue de la poterie de Soufflenheim en Alsace enferme ce savoir-faire dans des formes, des recettes et des usages strictement traditionnels mais peine à toucher des cuisines plus variées, plus quotidiennes aussi. Pourtant, cette poterie est idéale pour les cuissons lentes et saines, à l’étouffée, pour une cuisine facile, un usage quotidien. Ces objets pourraient trouver une place sur les tables et les gazinières, et non plus uniquement dans les brocantes, les livres, et les vitrines de musées. C’est cette utilité des objets que nous souhaitons mettre en avant.

Notre collaboration s’inscrit dans la dynamique de repenser nos modes de consommation, de réfléchir à l’impact de nos achats, à la qualité des matières, leurs provenances, et aux conditions de travail de ceux qui les fabriquent. L’idée est ainsi de montrer à un public engagé, qu’il existe, tout près de chez eux, des entreprises qui répondent à ces critères, et d’offrir à cet artisanat la possibilité de toucher cette nouvelle clientèle par des propositions plus adaptées, que ce soit en terme d’usage, d’aspect pratique ou d’esthétique.

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Nos objets

Les objets résultant de la collaboration avec la poterie Ernewein-Haas ne sont pas révolutionnaires ni spectaculaires, car ce n’est pas ce dont nous avons besoin dans ce contexte. Pour respecter le patrimoine, et mettre en valeur l’existant, ces modifications se veulent humbles et discrètes. Ce sont ces détails qui donneront une place à un artisanat rural et traditionnel dans nos maisons.

Ainsi notre projet n’est pas de produire un nouvel objet, avec un nouveau design pour un nouveau marché plus à la mode que celui de la poterie traditionnelle, mais bien d’amener la poterie traditionnelle elle-même, et toute la richesse patrimoniale qu’elle incarne, dans nos quotidiens contemporains.

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